Dans le petit vestibule précédant l’entrée du restaurant de l’hôtel se trouvait un piano à queue. Bien qu’il fût difficile de ne pas le voir en passant, il ne retenait pas spécialement l’attention. Nul son ne résonnait en son corps noir laqué, nul doigt ne glissait sur ses touches d’ivoire, recouvertes alors par son couvercle.
Tandis que je passais devant en me dirigeant vers la réceptionniste, je tournai instinctivement la tête dans sa direction, comme on se retourne impoliment après le passage d’une personne séduisante. Je songeai aussitôt au bonheur de posséder un tel objet, je me remémorai les quelques fois où j’ai pu jouer sur de tels instruments. J’ai toujours eu l’impression de jouer mieux que d’habitude sur des pianos à queue. C’est probablement du à leur mécanique plus réactive et leur son plus profond. Et chaque fois, je suis hors de la musique, je m’écoute jouer, comme on s’écoute parler quand l’ivresse nous gagne.
Ainsi vagabondaient mes pensées pendant le dîner jusqu’à la percée soudaine d’une idée audacieuse. Et si je demandais à jouer un morceau ? Oserai-je ? Mes souvenirs me transportèrent quelques douze années en arrière, juste avant mon entrée en scène pour l’audition annuelle de l’école de piano. Je passai vers la fin, comme Elsa et un ou deux autres élèves qui formaient avec nous les anciens. Le stress rendaient nos mains excessivement moites et je me souviens même d’un « ne mouille pas trop le clavier sinon on va glisser après… ».
Malgré ces réminiscences éprouvantes, en sortant de la salle je me surpris à demander la permission de jouer un morceau. Las ! la clé du couvercle étaient perdue depuis plus d’un an maintenant et personne n’avait songé à y remédier.